Le bleu sur la main

Paulo est grand, Paulo est fort, Paulo est impressionnant. Paulo a une trentaine d’années mais son visage et ses yeux n’en montrent que sept ou huit.
Il vient régulièrement à l’hôpital de jour que j’ai intégré depuis quelques mois.
Nous n’avons pas d’activité en commun mais chaque matin, il vient prendre un café à la buvette thérapeutique tenue par des soignants et des usagers.
Je ne connais donc de lui que son regard et le timide son de sa voix totalement inapproprié par rapport à sa corpulence.
C’est la première fois que je rencontre un tel visage : un large sourire sincère et des yeux qui crient une angoisse insupportable.
Le midi, Paulo s’installe, un peu en avance, sur la chaise toute proche de la porte qui donne accès au réfectoire.
Ce jeudi, alors que Paulo attend calmement l’heure de l’ouverture de cette fameuse porte, je discute calmement avec un autre patient, juste en face de lui.
Je ne sais pourquoi, je garde un œil systématiquement sur lui. C’est certainement ce mélange d’empathie et de bizarrerie qu’il me renvoie.
Soudain, du coin de l’œil, j’aperçois un imperceptible tremblement du bout de ses doigts. Je vérifie. Non, son sourire est toujours là, pas d’inquiétude. Je poursuis ma conversation.
Lorsque je tourne la tête, tout son bras est pris de grandes secousses. Non, son sourire est toujours là.
Je m’approche doucement de lui, je ne sais si je lui parle mais je me souviens très bien son silence. Son silence est verbal mais ses yeux crient et crient encore plus fort jusqu’au fond des miens.
Il reste comme scotché sur sa chaise mais c’est maintenant son corps tout entier se balance de plus en plus fort. Boum.
L’arrière de sa tête vient de percuter l’épaisse baguette en bois de la décoration de la salle, à mis hauteur du mur. Cette baguette qui délimite la peinture foncée de la partie inférieure de la peinture claire du haut.
Ses yeux crient toujours, son sourire est encore là.
Comme un réflexe, comprenant qu’il ne peut faire autrement, je place ma main entre sa tête et la fresque en bois. J’atténue les chocs de sa tête. Et c’est donc ma main qui cogne le bois au rythme de ses grands balancements.
Son sourire est encore là, ses yeux crient en symbiose avec les miens à chacun de ses coups de tête contre ma main, contre le bois.
Et puis, les balancements diminuent doucement jusqu’à disparaître totalement.
Son sourire est toujours là, ses yeux crient moins, mon sourire apparaît, ma main crie.
J’ai gardé ce bleu sur le dos la main quelques jours. Je sentais la douleur mais quelque chose en moi ne voulait pas qu’il disparaisse. Comme si, tant que je le gardais, Paulo ne récupérait pas son regard plein d’angoisse, comme s’il m’avait transmis un peu de sa douleur quotidienne insupportable.

Un commentaire

  1. Epitaf_

    Ok… Toi je t’aime

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